Le 28 octobre il nous a été donné d’assister à une dégustation de plats du Bocuse d’Or à Genève sur une idée originale de l’association des Bocuse d’Or Winners afin de montrer le chemin parcouru en 20 ans. Deux générations ont cuisiné ensembles leurs plats de concours à 20 ans d’intervalle, Michel Roth, France 1991, et Franck Giovannini, Suisse 2007 et 2011.
Comme amuse-bouche : saumon mariné au gingembre confit, homard en médaillon, vinaigrette framboisée, King crab & riviera de mangue-passion, bouchée de foie gras de canard aux amandes torréfiées, crème prise de Charlotte à l’osciètre, queue de langoustine au champagne rosé,
et au repas préparé en commun par les deux chefs :
– noix de Saint-jacques en carpaccio et tartare, choux colorés, crème Dubarry
– coeur de turbot grillé aux citrons confits, crabe royal aux aromates
– spaghettinis de champignons sauvages, réduction aux truffes blanches
– canard Bocuse d’Or 1991 en deux cuissons, foie-gras truffes noires
Ci-dessous quelques anecdotes des chefs au cours d’une conférence informelle tenue avant le repas.
1. Comment en vient-on à concourir pour le Bocuse d’or ?
Michel Roth, jeune chef au Ritz distingue dans une revue culinaire lors d’un voyage en métro un article sur Jacky Fréon, premier vainqueur d’un nouveau concours lancé en 1987 par Paul Bocuse. Poussé par son chef au Ritz il postule (sélection sur dossier à cette époque) et est sélectionné par Paul Bocuse qui vient lui annoncer cela personnellement au restaurant. Franck Giovannini quant à lui participe aux préparations avec Serge Vieira lors de l’édition 2005 qui verra gagner ce dernier et décide de relever le défi pour son pays la fois d’après. Il deviendra le premier suisse à atteindre le podium ce qui popularisera définitivement le concours dans son pays.
2. Leurs premières impressions
Michel Roth face à la feuille blanche… Au programme figurent des pâtes. Comment faire une cuisine artistique avec un ingrédient aussi commun ? Il trouvera l’inspiration un jour en regardant un oeuf dont il admire la forme parfaite. Il inventera l’oeuf en macaroni à la truffe dont il pense que cela lui a donné beaucoup de points pour la victoire. Mettant par contre une heure par oeuf il devra innover pour farcir les macaronis afin de s’inscrire dans la durée du concours de cinq heures et demie. Le nombre de jurys qui goûtent nécessitant une douzaine d’oeufs au total !
Pour Franck Giovannini qui avait déjà une bonne notion d’un concours devenu mâture et rôdé par ses aînés, le choc interviendra la première fois qu’il cuisinera devant le public. Supporter cette pression est devenu un facteur tellement important que de nos jours les grands pays qui se présentent fournissent un coach sportif au candidat. Les deux chefs sont d’accord pour dire qu’on se sent porté par son pays et fier de le représenter comme tout sportif, Frank remettant le bleu de chauffe 3 ans après sa 3ème place car le concours Europe se déroulait à domicile et tout le pays était derrière. Fort de cette double expérience il mesure la difficulté qui va grandissant d’année en année.
3. Le Bocuse d’Or, un laboratoire
Les deux chefs font part aux gourmets présents que de nouvelles techniques sont développé dans ce concours qui sont ensuite adaptées aux contraintes de la restauration de tous les jours. A l’époque de Michel Roth les poissons n’étaient pas encore cuits à la sonde ; la pâte brique qu’il utilisa pour ses bonbons de pruneaux en était à ses balbutiements ; c’était une gageure de tenir un plat chaud avant d’être consommé par le jury avec les moyens de ce temps. Franck Giovannini tout comme Michel Roth avec l’oeuf, se creusa longuement les méninges comment faire tenir une pomme de terre debout (celles que l’on aperçoit au bord du plat ci-dessous en forme de voilier). Dès lors, que le cuisinier soit premier ou dernier, c’est un apprentissage qui servira dans la future carrière.
4. Des différences notoires en 20 ans.
Hormis l’investissement humain de plus en plus conséquent, il y a aussi la beauté du plat et l’architecture du support qui est une évolution majeure du concours. La présentation qui compte pour près d’un tiers de la note finale peut faire la différence si le goût du jury est trouvé par le service à l’assiette (qui seul compte au niveau du goût). En l’occurrence ici les contours du plat furent dessinés sur une idée originale du candidat suisse en fonction d’un vrai poisson et réalisés sur mesure.
Michel Roth insiste sur l’harmonie du plat qui est essentielle et pour que le plat soit en harmonie il doit venir de soi. Le candidat doit le marquer de son empreinte et ne pas trop se laisser influencer dans ses choix par son équipe. Une fibre artistique est aujourd’hui un pré-requis. Un exemple flagrant avec Thibaut Ruggeri, le dernier vainqueur, qui est aussi photographe culinaire à ses heures.
Au niveau de la présentation Michel Roth évoque le fait qu’autrefois on cuisinait en sauce, même les assiettes étaient saucées, et que le canard qui figurait au programme était reproduit à l’identique. De nos jours tout est déstructuré.
Nous avons donc en ce lundi remonté le temps. Une expérience gastronomique unique par deux chefs qui nous semblent n’avoir rien perdu de la passion dévorante de leur prime jeunesse qui est sans doute – ils sont trop modestes pour le reconnaître – ce qui leur a permis de marquer le concours le plus exigeant du monde.